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Durée du travail
Heures supplémentaires : l'accord tacite de l'employeur suffit pour demander leur paiement
La Cour de cassation rappelle qu’un salarié peut demander le paiement d’heures supplémentaires qui ont été réalisées avec l’accord tacite de l’employeur. Elle rappelle également que des courriels, des attestations et un relevé d’heures produit par le salarié sont des éléments de preuve des heures supplémentaires suffisamment précis.
L’affaire : une demande de paiement de 31 heures supplémentaires accomplies chaque semaine pendant 3 ans
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation le 28 septembre 2022, un salarié d’une entreprise de sécurité avait été licencié le 8 avril 2013.
Il avait saisi la justice pour contester son licenciement et demander, par la même occasion, un rappel de salaire. Il réclamait le paiement de 31 heures supplémentaires qu’il aurait effectuées toutes les semaines pendant trois ans.
La cour d’appel avait rejeté sa demande en considérant que le salarié :
-n’apportait pas d’éléments sérieux permettant de prouver l'exécution d’heures supplémentaires ;
-n’avait jamais sollicité l’accord de sa hiérarchie pour réaliser des heures supplémentaires.
À tort puisque la Cour de cassation casse la décision, en répondant sur ces deux points.
Des courriels, des attestations et un tableau récapitulatif d'heures sont des éléments de preuve suffisamment précis
Rappelons qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, la charge de la preuve est partagée entre le salarié et l’employeur (c. trav. art. L. 3171-4) et obéit à 3 phases dont le contenu a été précisé par la jurisprudence :
-❶ le salarié présente « des éléments suffisamment précis » pour permettre à l’employeur d’y répondre (cass. soc. 18 mars 2020, n° 18-10919 FPPBRI) ;
-❷ l’employeur fournit des éléments, issus du contrôle des heures de travail qu’il doit effectuer (c. trav. art. L. 3171-2 et L. 3171-3), de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié (cass. soc. 10 mai 2007, n° 05-45932, BC V n° 71) ;
-❸ le juge forme sa conviction en fonction des éléments produits, sachant qu’il peut ordonner toute mesure d’instruction qu’il estimerait utile.
Dans la présente affaire, la Cour de cassation estime que les juges d’appel ne pouvaient pas considérer que la demande du salarié était irrecevable (car « insuffisamment étayée »), alors que le salarié produisait :
-des courriels de clients envoyés tôt le matin ou tard le soir ;
-des attestations affirmant que des rendez-vous clients étaient pris de 9 heures à 21 heures du lundi au samedi, voire le dimanche ;
-un tableau récapitulatif d'heures supplémentaires.
Pour, la Cour de cassation, le salarié présentait des éléments de preuve suffisamment précis.
Pour cause, la Cour de cassation avait déjà considéré comme suffisants des tableaux récapitulatifs d’heures établis par le salarié (cass. soc. 2 juin 2021, n° 19-19417 D ; cass. soc. 16 mars 2022, n° 21-10210 D), des courriels professionnels matinaux ou tardifs (cass. soc. 15 janvier 2015, n° 13-27072 D), des attestations crédibles de clients, de salariés ou de conseillers de salariés relatives aux horaires (cass. soc. 27 mars 2001, n° 98-44666 D ; cass. soc. 23 mai 2013, n° 12-16858 D).
La réalisation d’heures supplémentaires peut résulter d’un accord implicite de l’employeur
En principe, un salarié ne peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires que si ces heures ont été effectuées à la demande de l’employeur (cass. soc. 20 mars 1980, n° 78-40979, BC V n° 299).
En d’autres termes, le salarié ne peut pas décider seul de réaliser des heures supplémentaires pour « arrondir » ses fins de mois.
Néanmoins, il n’est pas nécessaire que la demande de l’employeur soit expresse. Le salarié peut obtenir le paiement d’heures supplémentaires :
-dès lors qu’elles ont été réalisées avec l’accord implicite de l’employeur (cass. soc. 7 février 2018, n° 16-22964 D) ;
-ou lorsqu’elles résultent de la nature ou de la quantité du travail demandé ou qu’elles ont été rendues nécessaires par les tâches confiées au salarié (cass. soc. 14 novembre 2018, n° 17-16959).
Dans cette affaire, la Cour de cassation rappelle que l’absence d'autorisation préalable n'exclut pas, en soi, un accord tacite de l’employeur à la réalisation d’heures supplémentaires.
En l’espèce, la cour d’appel ne pouvait donc pas rejeter la demande du salarié en se fondant sur le seul constat que le salarié :
-n'avait jamais sollicité de son supérieur hiérarchique une autorisation d'exécuter des heures au-delà de celles prévues au contrat ;
-n'avait jamais évoqué la nécessité de réaliser ces heures supplémentaires pour atteindre ses objectifs.
L’affaire sera rejugée devant la même cour d‘appel autrement composée.
Cass. soc. 28 septembre 2022, n° 21-13496 D